Unité et foyers mixtes : une seule direction, en avant !
La rencontre des foyers mixtes francophones à Vaumarcus, les 18 et 19 septembre 2010
Par l’Abbé François-Xavier Amherdt, Professeur de théologie à l’Université de Fribourg.
1. INTRODUCTION
1.1 Trois signes des temps
Mgr Kurt Koch, nouveau président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens. Magnifique colloque sur la catholicité, Ensemble et divers, à l’Institut de Bossey du 5 au 7 septembre 2010, ouvert par une célébration oecuménique de « l’Église locale » à la cathédrale de Lausanne, avec l’attribution par la Communauté de travail des Églises chrétiennes de Suisse (la CTEC) de quatre « labels oecuméniques » (l’École de la Parole, les célébrations mensuelles de la Parole organisées à la cathédrale de Lausanne par la Communauté des Églises chrétiennes dans le canton de Vaud (CECCV), les universités d’été de la fondation « Éthique et Art » de Nyon et la présence des Églises au salon de l’hôtellerie et de la gastronomie à Bâle). 100e anniversaire de la Conférence d’Edimburg (1910) qui a donné le coup d’envoi au mouvement oecuménique et missionnaire (cf. 2e forum de Fribourg – Église dans le monde, les 21-23 octobre 2010 à l’Université de Fribourg, sur ce thème).
1.2 Un retour identitaire
Que penser et que faire face au « retour identitaire » et au « repli confessionnel » indéniable ? Car, il faut bien le reconnaître avec B. Sesboüé, alors qu’il y a quelques années « l’oecuménisme pavoisait sur le pont du navire, il est maintenant descendu dans ses soutes »
2. FAIRE UN BILAN : QUE D’AVANCÉES !
Lancer un coup d’oeil dans le rétroviseur pour mieux aller de l’avant.
2.1 150 ans de mouvement oecuménique
Dès la deuxième partie du 19e siècle, développement du mouvement oecuménique au sein des Églises de la Réforme et dans leur dialogue avec les Églises d’Orient. Pour l’essentiel, il s’est déroulé en dehors de l’Église catholique romaine ! En 1948 : création du Conseil oecuménique des Églises (COE).
2.2 Les pionniers catholiques
Avant Vatican II, des pionniers catholiques de l’oecuménisme : – au 19e siècle, le cardinal Newman, C. Möller ; – dans la première moitié du 20e siècle, dom Lambert Beaudoin, Yves-Marie Congar, l’abbé Paul Couturier, Jan Willebrands. Pourtant, l’attitude officielle était celle de la plus grande prudence : – interdiction de participer aux congrès des « acatholiques » (cf. l’Encyclique Mortalium animos de Pie XI, 1928) ; – l’unité vue comme retour dans le giron de l’Église catholique.
2.3 La conversion du Concile Vatican II
La convocation du Concile
La visée oecuménique : au coeur de l’intention de Jean XXIII de réunir le Concile Vatican II (1962-1965). Dès le début, souffle d’ouverture oecuménique : « Lorsque les évêques se sont aperçus qu’ils étaient bien d’accord, dit Y.-M. Congar, l’Église catholique s’est convertie à l’oecuménisme en quelques minutes, quelques heures au maximum »
Dans tous les documents
Une préoccupation présente à tous les documents, pas seulement dans le décret Unitatis redintegratio, avec notamment :
- l’ouverture à l’ecclésiologie de communion et la reconnaissance de la valeur ecclésiale et salvifique des autres Églises chrétiennes (Lumen Gentium) ;
- la place retrouvée de la Parole de Dieu dans le rapport Écriture
- Tradition (Dei Verbum) ;
- la reconnaissance de la liberté religieuse (Dignitatis humanae) à laquelle tenait beaucoup le COE.
L’apport du décret sur l’oecuménisme (Unitatis redintegratio)
2.4 Des résultats substantiels
Il vaut la peine de mentionner quelques réalisations effectives.
Les grandes rencontres et les gestes symboliques
Les grands gestes symboliques montrent que la réconciliation est en marche entre les Églises : c’est l’oecuménisme de la charité. En voici quelques-uns :
- la rencontre de Paul VI et du patriarche Athénagoras de Constantinople à Jérusalem ;
- le geste de Paul VI s’agenouillant devant Méliton, l’envoyé d’Athénagoras, pour lui baiser les pieds ;
- la visite de Paul VI au Conseil oecuménique à Genève ;
- Paul VI donnant son anneau pastoral au docteur Ramsey en signe de réconciliation avec l’Église anglicane ;
- la visite de Jean-Paul II (et maintenant de Benoît XVI) en Angleterre ;
- la levée des excommunications portées en 1054 entre Rome et Constantinople ;
- la déclaration que les « anathèmes » entre luthériens, réformés et catholiques ne visent plus le partenaire actuel ; sans parler des grands rassemblements oecuméniques « Paix, Justice et Sauvegarde de la Création » (Bâle en 1989, Séoul, Graz, Sibiu) ;
- la magnifique conférence en novembre 2004 à Rocca di Papa à l’occasion des 40 ans du décret Unitatis redintegratio (avec le métropolite de Pergame Jean Zizioulas, le méthodiste Geoffroy Wainwright et de cardinal Walter Kasper, ancien président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens qui a remis à cette occasion un vademecum oecuménique : Manuel d’oecuménisme spirituel (Paris, Nouvelle Cité, 2007).
Le travail des commissions doctrinales
Dialogue multilatéral de Foi et Constitution, la commission théologique du COE5, et le Groupe mixte de travail entre le Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens et le COE.
Les dialogues bilatéraux avec l’instance mondiale de quasiment toutes les Églises ou communautés ecclésiales d’Orient et d’Occident (la Commission anglicane, la Fédération luthérienne mondiale, l’Alliance réformée mondiale, l’Alliance évangélique mondiale, les Communautés pentecôtistes, le Conseil méthodiste mondial, l’Alliance baptiste mondiale, la Conférence mennonite mondiale, l’Église orthodoxe dans son ensemble, les anciennes Églises orientales, l’Église vieille-catholique). Les dialogues les plus avancés sont ceux entre anglicans – catholiques, luthériens – catholiques et catholiques-chrétiens – catholiques-romains (avec un accord en vois d’être signé).
Hélas, depuis l’échec de la Rencontre de Baltimore (2000), le dialogue orthodoxe – catholique stagne, même si la Conférence de Ravenne (2009) s’est avérée prometteuse concernant la reconnaissance d’une « primauté d’honneur » de l’évêque de Rome. Paradoxalement, la chute du mur de Berlin (et la guerre en ex-Yougoslavie) a compliqué les choses à cause de la crainte du prosélytisme catholique. Mentionnons aussi les magnifiques travaux du Groupe des Dombes sur quasiment tous les sujets sensibles :
- 1971 Vers une même foi eucharistique ;
- 1972 Pour une réconciliation des ministères ;
- 1976 Le ministère épiscopal ;
- 1979 L’Esprit Saint, l’Église et les sacrements ;
- 1985 Le ministère de communion dans l’Église universelle ;
- 1991 Pour la conversion des Églises ;
- 1997 Marie dans le dessein de Dieu et la communion des saints ;
- 2005 « Un seul Maître ». L’autorité doctrinale dans l’Église.
Quelques accords de foi
Hélas, les documents des commissions constituent des études autorisées, mais n’engagent pas les Églises comme telles. Signalons trois documents officiels :
- Les accords christologiques passés avec les Églises pré-chalcédoniennes (Église assyrienne d’Orient, Églises monophysites copte, jacobite et arménienne). Méthode : une confession de foi commune en Jésus-Christ revenant en amont des définitions des Conciles d’Éphèse et de Chalcédoine qui ont provoqué les conflits. Pourquoi ne pas faire de même avec les Conciles de Trente et Vatican I ?
- La déclaration commune Église catholique – Fédération luthérienne mondiale sur La doctrine de la justification6 signée le 31 octobre 1999 – rappelant le 31 octobre 1517 et l’affichage des 95 thèses de Luther – à Augsburg, ville de la promulgation de la Confession de foi dite d’Augsburg (1530). Un enseignement commun, selon le principe du « consensus différencié ».
- La Charte oecuménique – lignes directrices en vue d’une collaboration croissante entre Églises en Europe, signée en 2001 par le Conseil des conférences épiscopales d’Europe (CCEE, présidée par Mgr Amédée Grab, évêque de Coire) et la Conférence des Églises européennes (KEK).
Documents du Magistère romain
Du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, le Directoire pour l’application des principes et des normes sur l’oecuménisme (25 mars 1993) ; et l’engagement irréversible de l’Église catholique dans le dialogue oecuménique, prôné par la belle Encyclique de Jean-Paul II Ut unum sint – Que tous soient un (25 mai 1995), réaffirmé comme l’une des priorités de son pontificat par Benoît XVI.
2.5 L’oecuménisme vécu : un autre climat
L’essentiel est ce qui se vit au plan local. En Suisse Romande, entre autres : les foyers mixtes en sont le fleuron ;
- la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens et la journées mondiale de prière des femmes (1er vendredi de mars) ;
- les célébrations communes (importance de la cathédrale) ;
- les échanges de chaires ;
- Action de Carême / Pain pour le prochain ;
- les innombrables ministères et aumôneries oecuméniques (hôpitaux, homes, prisons, écoles) ; – la catéchèse (ENBIRO) ;
- les groupes bibliques de lecture et de lectio divina (École de la Parole), l’ABOR (Animation Biblique OEcuménique Romande) ;
- les collaborations entre équipes pastorales (réformés, catholiques, parfois évangéliques et catholiques chrétiens) ;
- les communautés oecuméniques ou à vocation oecuménique (Grandchamp, Romainmôtier, Institut de Bossey) ;
- la pastorale jeunesse (rencontres – groupes de prière de Taizé) ;
- la pastorale des médias (CCRT et Service protestant de radio-tv), émissions religieuses des radios locales ;
- collaboration entre facultés de théologie de Genève – Lausanne –
Neuchâtel et Fribourg ; - rencontres – déclarations communes au niveau de la CTEC (Conférence des évêques suisses – Fédération des Églises protestantes de Suisse – Organe faîtier de l’Église catholique-chrétienne suisse).
3. UN REPLI IDENTITAIRE
Dès 1972 (!), les expressions « piétinement » ou « essoufflement » ou « gel » de l’oecuménisme apparaissent, après l’enthousiasme de l’après-Concile. Se lève une nouvelle génération qui n’a pas connu le feu du Concile, qui perçoit moins l’urgence de l’unité, qui place d’autres priorités devant l’évolution du monde et la perte de la foi et qui, par réflexe identitaire (de peur ?) entend réaffirmer les repères confessionnels. Comme le nouveau pharaon d’Égypte qui n’avait pas connu le patriarche Joseph et qui développe une attitude plus dure face aux Hébreux. D’où des découragements devant des durcissements et des retours en arrière. Comme tout semble se perdre et « ficher le camp », chaque confession est tentée de réaffirmer sa propre originalité par rapport aux autres, de peur de disparaître dans un « magma oecuménique » ou surtout de se fondre dans l’univers sécularisé (pour rester sel de la terre). Ce retour identitaire est un phénomène global (= réflexe du « blockhaus »), cf. le réveil des nationalismes, la montée de partis politiques aux contours très affirmés, voire l’apparition de groupes religieux musclés de type sectaire.
3.1 Une espérance un peu naïve
Sans doute que, dans l’élan conciliaire, beaucoup ont pensé que le but était à portée de main en une ou deux générations. Comme le groupe de Juifs rentrant de l’exil tout feu tout flamme et sûrs de pouvoir rebâtir le temple de Jérusalem et reconstruire la vie religieuse en Israël en un tour de main. Or des ruptures de 1000 ou 1500 ans ne s’effacent pas d’un revers de main. L’oecuménisme est un labeur de longue haleine. 150 ans de mouvement oecuménique n’ont pas tout réglé entre Églises issues de la Réforme !
3.2 La réconciliation des mémoires
Des facteurs non doctrinaux ont un poids considérable : la réconciliation des mémoires prend du temps, car la mémoire marque les mentalités. Et les blessures sont nombreuses et profondes : ressentiment millénaire de l’Orient face aux maladresses et à la volonté de puissance de l’Occident, guerres de religions encore bien présentes (cf. les traces du « Kulturkampf » à propos de la question des diocèses en Suisse). Cela ne fait pas si longtemps que l’on ne se traite plus mutuellement d’ « hérétiques » ! D’où l’importance des gestes symbolico-prophétiques, comme les demandes de pardon de Jean-Paul II lors du Jubilé de l’an 2000.
3.3 Des occasions manquées
Ensuite, il est indéniable que nous sommes restés « en-deçà de la grâce » offerte par le
« kairos » conciliaire. Par prudence « nous n’avons pas saisi toutes les possibilités pour franchir plus rapidement des pas décisifs », au moment « où il fallait avoir plus d’audace et
courir le risque de l’Évangile ».
3.4 Des freins institutionnels
La Curie romaine
Il existait sans doute une certaine distance entre l’attitude de Jean-Paul II très favorable à l’oecuménisme (et au dialogue interreligieux) et plusieurs dicastères de la Curie. Exemples :
- le Directoire pour l’oecuménisme a été longtemps bloqué à la Congrégation pour la doctrine de la foi, et sur l’un ou l’autre point il est presque plus restrictif que le document précédent ;
- le renouveau biblique et oecuménique sur l’eucharistie entre peu dans les documents romains. A noter qu’en positif, Benoît XVI a pu renouer des contacts prometteurs avec le Patriarche orthodoxe de Russie, ce dont son origine slave avait empêché le polonais Jean-Paul II.
Une préoccupation qui devrait être de tous
Le très bon travail du Conseil pontifical pour l’unité ne semple pas relayé par les autres dicastères. Au lieu d’être un souci de tous, la préoccupation oecuménique semble confiée exclusivement au Conseil pour l’unité et à ses commissions comme à l’organisme « spécialisé » en la matière.
Concrétiser les documents
Si le dialogue doctrinal semble plafonner, c’est qu’il n’est pas accompagné ni suivi des actes qui devraient lui correspondre. A tous les niveaux, nous ne vivons pas encore concrètement toutes les réconciliations devenues possibles : nous ne faisons pas ensemble tout ce que nous pourrions ne pas faire séparément. C’est comme si certains services au plan diocésain (voire régional ou sectoriel) freinaient la marche pourtant affirmée haut et fort par les responsables. Un exemple : une commission mandatée en 1992 par le Conseil des Églises chrétiennes de France et rassemblant des membres de toutes les Églises a travaillé pendant deux ans à une traduction oecuménique des Symboles des Apôtres et de Nicée-Constantinople. Hélas le résultat excellent de leur travail n’a pas été pris en compte du côté catholique pour des raisons juridiques (ou de peur ?). La cause oecuménique est-elle vraiment prioritaire ? Les résultats des dialogues doctrinaux aux plus hauts niveaux ont de la peine à passer dans la chair et le sang de la vie des Églises. Il ne suffit pas d’une réception officielle par la signature de documents, il faut également passer par une effective utilisation pastorale des schémas de réconciliation doctrinale acquis. Exemple : la prédication et la pratique dans le domaine des ministères et de l’eucharistie devraient pouvoir faire passer les résultats bibliques et traditionnels acquis dans la manière de croire du peuple de Dieu.
En quoi et à quel moment (avant, pendant, après) le peuple catholique a-t-il été associé et sensibilisé à l’accord sur la justification ? Pour une catéchèse et une prédication oecuménique, sensibilisant constamment à l’urgence de l’unité.
Une conversion institutionnelle
Il s’agit de rendre le visage de chaque Église attrayant. Toute initiative de l’Église catholique visant à stimuler la responsabilité communautaire et synodale, à respecter la dimension collégiale (poids de chaque évêque et Église locale diocésaine, des Conférences épiscopales, des Synodes continentaux) et à équilibrer le fonctionnement de l’autorité (épiscopale, pontificale) peut avoir un grand impact oecuménique. Rendre le ministère de l’épiscope et de la primauté romaine « désirable ». Cf. le voeu de Jean- Paul II dans Ut unum sint que les autres confessions l’aident à mieux exercer sa charge de successeur de Pierre a-t-il été entendu et relevé ?
3.5 Des problèmes nouveaux
Le repli confessionnel tient peut-être aussi au fait que de nouveaux problèmes de contentieux se sont ouverts.
Dans le domaine de l’éthique
Les positions sur le respect et la transmission de la vie sont parfois fort divergentes du fait de l’évaluation différente des progrès de la bioéthique, et les Églises éprouvent moins le besoin de se concerter sur ces questions que dans le domaine de la morale sociale et de la justice. Certaines attitudes extrémistes (violence des comités « pro life ») compromettent le discours chrétiens face à l’avortement. Ordination des femmes, de ministres homosexuels Dommage que la dogmatique oecuménique n’ait pas été assez forte pour que ces problèmes aient pu être abordés en concertation entre toutes les Églises. On assiste à ce sujet à un clivage entre catholiques et orthodoxes / anglicans, vieux-catholiques et Églises issues de la Réforme.
Les méthodes d’évangélisation
Si les orthodoxes redoutent ce qu’ils considèrent comme le prosélytisme catholique dans les pays issus du communisme, se pose un peu partout dans le monde la question des méthodes d’évangélisation parfois frontales, voire racoleuses ou attachées à des campagnes humanitaires – et soutenues par les dollars US –, employées par certaines communautés évangéliques ou pentecôtistes.
Créationnisme
La question du créationnisme opposé à l’évolution, défendu « mordicus » par des groupes protestants de tendance fondamentaliste, ne facilite ni le dialogue oecuménique, ni le témoignage chrétien dans le monde.
De manière générale
Les prises de position tonitruantes de pasteurs fondamentalistes américains ne font pas avancer la cause de l’unité. Exemples : – le tremblement de terre en Haïti présenté comme une punition de Dieu ; – l’action « brûler un Coran le 11 septembre »…
CONCLUSION
Le danger existe que dans chaque Église l’oecuménisme ne devienne une sorte de « comptoir à gérer », parce qu’il faut bien être officiellement « pour », mais qu’en fait tout le monde pense que cela n’évoluera pas ou que certains même se réjouissent du statu quo.
4. EN AVANT !
4.1 A la recherche de consensus doctrinaux différenciés : Passé – présent – avenir
Selon le voeu du Seigneur « Que tous soient un, comme toi et moi, Père, sommes un afin que le monde croie » (Jn 17, 21). Seule direction possible : en avant !
L’oecuménisme « en arrière » est nécessaire, car l’Esprit travaille la mémoire et l’histoire, est la clé herméneutique de l’unité. Par exemple, revenir à la foi de l’Église une et indivise du premier millénaire et des sept premiers conciles oecuméniques.
Vivre l’oecuménisme « au présent » en considérant les différences comme des richesses plutôt que des obstacles, en affirmant chacun son identité tout en reconnaissant le bienfondé du point de vue de l’autre (comme le fait le Groupe des Dombes).
Aller « de l’avant », en se disant les choses, en fuyant l’oecuménisme diplomatique et lisse, en cherchant de nouvelles formulations dogmatiques grâce au concours de toutes les confessions (cf. essai de synthèse de colloque sur la catholicité, énumérant les accords et les désaccords).
Trois concepts opératoires
Le consensus différencié : comme pour la Déclaration commune sur la doctrine de la justification. Cette méthode peut se résumer de la manière suivante : « Des affirmations communes sur l’essentiel sont accompagnées d’approches différentes, conformément aux traditions et aux points de vue confessionnels des uns et des autres » (Préface, p. 8). Ou dit dans la déclaration elle-même : « Il y a consensus dans les vérités fondamentales ; les différences dans les développements de certains points particuliers sont compatibles avec ce consensus » (p. 65). Tout dialogue oecuménique devrait pouvoir s’inspirer de ce consensus différencié. Il est important à la fois de mettre en évidence ce qui est commun et de trouver une interprétation des divergences qui puisse être éclairé par ce commun partagé.
Autorité différenciée : à l’exemple des Églises catholiques orientales jouissant d’une réelle latitude dans les domaines du droit canon, de la liturgie, de la discipline. Cette diversification de l’autorité, à l’interne, devrait aussi pouvoir s’exercer à l’externe. Un des grands enjeux pour les décennies à venir serait précisément de trouver des formes d’autorité de la papauté et de l’épiscopat qui soient clairement différenciées dans leur fonction interne et leur fonction externe, et deviennent ainsi acceptables pour les autres confessions.
Reconnaissance différenciée : De même que l’Église catholique se perçoit plus proche des orthodoxes (qui ont conservé la succession apostolique et les sept sacrements), puis des anglicans, que des réformés ou des évangéliques, on pourrait imaginer que dans un avenir pas si lointain, l’Église catholique romaine arrive par un consensus différencié à une forme d’autorité différenciée regroupant les Églises orthodoxes et l’Église anglicane (et aussi l’Église vieille-catholique en pleine communion avec elle, voire un jour avec les luthériens). Or les anglicans (et les vieux-catholiques et les luthériens) sont en communion différenciée avec d’autres Églises. Il serait possible alors d’arriver à des situations de reconnaissance différenciée où une Église reconnaît une Église qui en reconnaît une autre. Des pas supplémentaires de rapprochement pourraient être alors progressivement accomplis.
4.2 Un « ministère de l’intérieur »
Comment dépasser le repli identitaire et aller de l’avant ? En considérant l’oecuménisme comme une priorité de tout l’être ecclésial et non comme un département spécialisé confié à quelques spécialistes. La communion entre nos Églises, quoique encore imparfaite, est cependant déjà réelle et effective. La recherche de la catholicité et de l’unité ne relève donc pas d’un « ministère des affaires extérieures », comme si les Églises étaient des États étrangers les uns aux autres, mais d’un « ministère de l’intérieur », au coeur de chacune d’entre elles.
Les foyers mixtes jouent à cet égard le rôle d’aiguillons ou de mouches du coche auprès des équipes pastorales et conseils, pour que la préoccupation oecuménique soit inscrite au coeur des communautés.
Cela implique de faire connaître et d’incarner tous les documents oecuméniques officiels existants (conférences comme au Centre de Vassin, catéchèse d’adultes et de jeunes, émissions dans les médias, rubrique « oecuménisme » commune aux journaux paroissiaux des Églises de la région, prédications…).
4.3 Des actes concrets et symboliques
Il conviendrait ensuite de traduire dans les actes concrets et symboliques de cette communion en devenir. Les foyers mixtes peuvent y contribuer et s’y engager. Exemples : – célébration commune régulière dans chacune des cathédrales ; – puits inauguré à Sierre à la fin de la « consultation oecuménique » sur l’état de la Suisse, au Jeûne fédéral ; – signature solennelle comme à Fribourg de la charte oecuménique européenne ; – inauguration du chemin de la paix convergeant vers la chapelle de l’unité de Develier (portée par la prière du Carmel de l’Unité).
4.4 Des actions d’évangélisation commune
– Développer les cours Alpha Live ; – proposer des actions d’évangélisation commune, un « Jour du Christ » ou d’autres rassemblements missionnaires regroupant les diverses confessions chrétiennes, à l’occasion notamment de grands événements, comme cela s’est vécu au stade de la Praille lors de l’euro de football 2008 ; – offres communes dans les églises ouvertes City-Kirchen (Bâle, Zürich, Berne). La nouvelle évangélisation sera oecuménique ou elle ne sera pas.
4.5 Relancer des communautés de base oecuméniques
Partout, dans la visée de la proposition de la foi et de la pastorale d’engendrement, sont proposées des communautés de base où la Parole est partagée, priée, vécue et célébrée (tables de la Parole, groupes bibliques, groupes de lectio divina, cellules d’évangélisation). Les groupes de couples mixtes en constituent également. Favoriser la dimension fondamentalement oecuménique de toutes les communautés. Relancer de nouveaux groupes de couples mixtes.
4.6 Mise à jour du corpus doctrinal
Comme il existe le fameux Manuel de Denzinger (= recueil des symboles et définitions de la foi catholique ayant autorité doctrinale, mis à jour périodiquement : dernière édition en 1996 aux Éditions du Cerf), il conviendrait, pour aider à les faire connaître et à les mettre en oeuvre, d’intégrer aux corpus doctrinaux des différentes Églises les documents oecuméniques ayant valeur officielle. Cela constituerait un « corpus confessionnel » exprimant le consensus de foi retrouvé par les Églises séparées. Cela impliquerait une Unité et foyers mixtes : une seule direction, en avant !
12 herméneutique des documents conciliaires et confessionnels qui admette que la formulation du passé peut être renouvelée et prolongée dans la fidélité par une formulation nouvelle.
4.7 Une conversion permanente
L’oecuménisme est d’abord spirituel. Il est porté par la prière – et les couples mixtes y apportent leur part précieuse. La réconciliation oecuménique dépendra de la conversion confessionnelle (cf. le document du Groupe des Dombes Pour la conversion des Églises) qui passe par une conscience renouvelée du scandale de la division des chrétiens et par la conversion difficile des mentalités et des mémoires. Exemple : se faire désormais vraiment confiance entre luthériens et catholiques, depuis la Déclaration sur la justification.
Les couples mixtes incarnent en quelque sorte la réconciliation déjà achevée et toujours encore à accomplir. Cf. l’hospitalité eucharistique : étendre aux foyers mixtes et aux groupes engagés dans l’oecuménisme les exceptions admises par l’Église catholique pour faire participer aux moyens de grâce ceux qui y aspirent, même si l’unité des Églises n’est pas encore plénière (selon les deux principes réglant la communication « in sacris », Unitatis redintegratio, n. 18).
4.8 Pour la mondialisation de l’oecuménisme : une parabole en acte de la réconciliation de l’humanité.
C’est ensemble que les chrétiens sont invités à relever le défi de la mondialisation, ses aspects fascinants – tout homme devient le prochain de tout homme – et inquiétants – forces de violence, de mensonge, de cupidité et de déshumanisation. La réconciliation des chrétiens entre eux est un service à rendre à l’humanité. Ce n’est pas que boutique interne. Elle a valeur de témoignage.
Malgré les replis identitaires, une « inconfusible » espérance (cf. Rm 5, 5) nous habite, nous qui sommes porteurs du projet de réconciliation de l’ensemble de l’humanité assumé par le Christ. « Par sa croix, il a tué la haine » (Ep 2, 16). Tenons vive la flamme de la dynamique oecuménique : elle est un laboratoire de la nécessaire paix entre les hommes.
Abbé François-Xavier Amherdt
Professeur de théologie
Université de Fribourg
Pour aller plus loin :
« La rencontre » par le père Vincent Lafarge
Lettre ouverte aux Paroisses