Lyon 2015
Foyers Mixtes : l’audace d’ouvrir des pistes nouvelles
C’est une centaine de personnes qui se sont retrouvées à Lyon en novembre pour une rencontre passionnante autour de quatre intervenants :
Noël Ruffieux, laïc orthodoxe et foyer mixte affirme que « l’Église n’existe pas sans nous, foyers inter-ecclésiaux » : à eux de relever le défi d’être de modestes passerelles entre leurs deux églises, de se convaincre que par leur mixité de foi, ils peuvent construire une communauté de foi, inventer des manières d’habiter l’Église, faire bouger les murs, transgresser les bornes ecclésiales en rappelant le scandale des divisions.
Le frère Michel Mallèvre incite les foyers mixtes à « franchir les rideaux des institutions» pour gagner la confiance des responsables ecclésiastiques. Il met au défi les foyers mixtes « traditionnels » (catholique / protestant ) d’évoluer dans le concert de la nouvelle réalité des familles mixtes en se situant clairement comme chrétiens et en contribuant par le témoignage de leur expertise à aider les églises à les accueillir.
Ces interpellations fortes sont reprises par le pasteur Gill Daudé pour encourager les participants à construire l’Église de demain sans plus se laisser enfermer dans les querelles d’églises.
Valérie Duval Poujol, théologienne baptiste, voit enfin dans la diversité une chance et une bénédiction : « l’autre m’aiguillonne à savoir qui je suis». Revenant sur le synode sur la famille que les couples interconfessionnels avaient interpellé en réclamant une véritable pastorale pour leurs familles, elle fait le constat positif de l’émergence d’une nouvelle pédagogie du cheminement, étayée par l’accueil très oecuménique des « délégués fraternels » orthodoxes et protestants.
L’Église n’existe pas sans nous, foyers inter-ecclésiaux
D’après Noël Ruffieux * voir texte complet
*Orthodoxe, laïc suisse, Foyer Mixte, président de la commission oecuménique de Fribourg
Quelle place l’Église donne-t-elle aux foyers mixtes et à leurs familles ? Le synode romain sur la famille ne les évoque qu’en deux alinéas de son rapport final (74 et 93), et sans faire de proposition nouvelle par rapport au Directoire de 1993. La pression d’autres sujets plus
médiatiques en est probablement une raison, mais avons-nous réellement une place ?
L’Église peut-elle se passer de nous, et réciproquement ? Qu’est-ce qui justifie l’exclusion de l’un des membres du couple de la table commune ? Au baptême, nous avons « revêtu le Christ » (selon l’expression de Jean), ce qui signifie que nous portons déjà le vêtement de noce. Pour notre mariage (mixte), nous avons porté des habits de noce : le couple devient une réalité nouvelle. Au début du IIè siècle, il n’y avait pas encore de rituel chrétien : St Ignace d’Antioche recommandait aux couples de demander l’avis de leur évêque avant de se marier. Il suffisait alors de se présenter ensemble à l’eucharistie pour être reçu comme couple. Les rituels du mariage chrétien sont largement des reprises de rituels païens.
Pour parler d’amour la langue grecque a trois mots : l’eros la philia et l’agapè. L’amour conjugal, c’est tout ça, et plus si affinités ! Paul utilise parfois koinonia à la place d’agapè : c’est le plus, du plus si affinités. Le verbe kinoneo signifie en effet mettre en commun, participer à une même réalité, mais aussi partager la même couche.
Nous nous sommes mariés en 1961, et nous étions alors tous les deux catholiques. Mais en
1981 je suis devenu orthodoxe et notre couple a découvert la problématique des foyers mixtes. Aujourd’hui, nous pouvons témoigner que la double culture ecclésiale a continué à fortifier notre foi. L’un des enjeux est d’arriver à vivre sa foi sous deux « AOC » différentes.
Quand je suis devenu orthodoxe, nous nous sommes promis de ne pas être source de division. Cela fonde tous nos engagements en Église, oecuméniques ou pas. Pour cette raison, pendant 20 ans, nous n’avons pas communié de manière habituelle l’un chez l’autre. Cela nous semblait néanmoins erroné et provisoire, et nous le faisions pour des occasions familiales spécifiques. Aujourd’hui, nous avons des liens de « libre fidélité » à nos églises.
N’attendez pas le temps, car le temps ne vous attend pas. Les foyers mixtes doivent tirer
profit de leur privilège extraordinaire, qui est de pouvoir se nourrir à deux sources
ecclésiales. Il faut parfois transgresser les bornes ecclésiales. Aller au-delà des règles
n’est pas forcément aller contre elles ; l’Église reconnaît d’ailleurs l’objection de conscience
dans d’autres domaines. Ce qui devrait faire l’unité est actuellement la marque de sa division.
On ne peut être dans l’Église sans être dans l’eucharistie. Sa privation institutionnelle est une cause de souffrance. Il y a effectivement d’autres manières de participer à l’Église du conjoint, mais il faut être cohérent ! Les Églises insistent sur le réalisme eucharistique : par conséquent, l’abstinence générale ne peut pas être prônée. La communion n’est ni un signe identitaire ni une récompense, et ne peut pas être un moyen de punition. Elle répond à un besoin du pain de vie. Quand une Église se sent obligée d’exclure, elle doit reconnaître la portée scandaleuse de ce refus, c’est-à-dire reconnaître au sens étymologique qu’il s’agit d’un « piège » placé sur le chemin du Royaume.
Un couple mixte n’est jamais pleinement dans une Église. Ce n’est pourtant pas une
famille recomposée ecclésialement, il n’est pas responsable de ses difficultés. Il a
vocation à devenir une seule chair dans une Église qui est corps un, mais divisé. Il
anticipe et répare ; il est un élément de la solution.
Comment vivre cette vocation dans l’Église ? Construisons notre Église de maison autour de
la parole de Dieu dans la prière commune et l’éros de tendresse. N’oublions pas l’hospitalité,
grâce à elle, sans le savoir, certains ont accueilli des anges. Là où est le Christ, là est l’Église.
L’Église ne doit pas être une mère abusive qui sème des obstacles sur notre route. Si les
limites de l’Église restreignent notre désir de servir le Christ, soyons rusés comme les
serpents, transgressons s’il le faut, mais ne cédons pas à la tentation de quitter la maison.
Etre SDF est plus pénible que de souffrir en famille. Notre sérénité illuminera la maison.
Soyons de fidèles serviteurs.
Foyers Mixtes : Perspectives bibliques
D’après Valérie Duval-Poujol * voir texte complet
*Théologienne baptiste, présidente de la commission oecuménique de la FPF, « délégué
fraternel » de l’Alliance baptiste mondiale au synode extraordinaire de la famille à Rome.
Les documents de l’Affmic évoquent souvent « l’unité dans la diversité ». L’une des pistes pour vivre l’unité dans la diversité est de parvenir à conjuguer harmonieusement ressemblances et différences, sans se laisser subjuguer ni juger.
La tentation est souvent forte de ne mettre l’accent que sur l’un des deux pôles, et de vivre une spiritualité hybride pour atténuer les différences, ou bien de renoncer à avoir des temps communs de partage. On ne peut pas se construire sur un seul bord : la ressemblance
sécurise, mais la différence est créative.
Examinons quelques textes de la Genèse sur la perception de la différence. Au départ, Adam n’admire que ses ressemblances avec Eve (os de mes os, Ich / Icha…), c’est la fusion. Mais rapidement la différence est vécue comme une infériorité : Caïn refuse sa différence avec Abel. Ainsi lors de la construction de la tour de Babel, le récit débute par la description du refus de l’altérité : « toute la terre était lèvre unique et parole unique ». Dans cette uniformité, les Hommes construisent une tour pour se donner eux-mêmes un nom. Ils refusent d’être précédés par une Parole qui leur donnerait leur identité. Ils sont dans le « nous », pas dans le « je ». Le matériau avec lequel ils bâtissent est de la brique qu’ils fabriquent, pas des pierres données par Dieu. On ne connaît aucun des noms de ces habitants de Babel ! Ils veulent se faire un nom en construisant eux-mêmes cette tour. Ils ne veulent pas être dispersés : ils ne supportent pas leur diversité. Osons-nous notre vrai visage, ou nous cachons-nous derrière notre groupe confessionnel ? Dieu descend pour voir cette tour (qui essaie de monter) et dit : « Maintenant, rien de ce qu’ils projetteront de faire ne leur sera inaccessible ». Puis il intervient pour rétablir l’altérité. Les Hommes de Babel n’avaient pas perçu la richesse de la diversité. L’intervention divine n’est pas une punition : mais la tour n’est pas construite, Dieu arrête le processus de dé-création. Il accentue les différences. Les Hommes s’étaient rassemblés pour se ressembler. Babel est en fait une bénédiction !
L’Homme tend à construire des structures de société basées seulement sur la ressemblance, mais Dieu réintroduit la diversité. Les Foyers Mixtes, laboratoires de l’unité dans la diversité, doivent montrer la voie du maintien des deux pôles.